Le délicieux professeur V.

Julia May Jonas
traduit par Emmanuelle Heurtebize
Julia May Jonas, Le délicieux professeur V.

La situation est sans appel : elle est la femme du porc. Elle a toujours su que son mari avait des aventures avec des étudiantes et cela ne la gênait pas. C’était leur mode de fonctionnement. Mais voilà son époux cloué au pilori, menacé de perdre le prestige d’une carrière pour laquelle elle, sa brillante épouse - meilleure autrice, meilleur esprit, meilleure en tout - avait accepté de se mettre en retrait. Qu’a-t- elle fait de toutes ces années? Aurait-elle depuis toujours été dans l’erreur ? Est-ce l’époque qui va trop loin ? Est-elle complice d’un crime ou victime collatérale ? Surtout, ce qu’elle ne comprend pas, c’est l’attrait irrépressible des hommes de son âge pour les jeunes femmes. Alors qu’elle tente d’y voir clair, le délicieux professeur Vladimir débarque sur le campus...

Dans ce premier roman aux accents tout aussi comiques que philosophiques, Julia May Jonas questionne les scandales de notre époque, et explore, à travers cet éblouissant portrait de femme mûre, les ressorts du désir, du pouvoir et la force de la littérature.

  • Née en 1981, Julia May Jonas est autrice, metteuse en scène et direc-trice d’une compagnie de théâtre. Elle a enseigné dans plusieurs univer-sité américaine et vit à Brooklyn avec sa famille. Le Délicieux Professeur V. est son premier roman.
  • Revue de presse
    Exquis ! Une valse subtile avec le fantôme de Nabokov, tour à tour cathartique, machiévélique et drôle.
    Jonas tisse un roman audacieux sur le pouvoir, l’ambition et le désir féminin.
    Julia May Jonas. Retenez ce nom. Elle est vraiment, vraiment douée... Le délicieux professeur V. s’aventure sur un terrain à tel point glissant que certains passages m’ont laissé sans voix. Une combinaison rare de personnages intenses, prose envoûtante et rythme nerveux.
    Énergique ... D’un style puissant et assuré, Jonas dessine un personnage à tel point candide que, chaque fois qu’elle commet un acte malveillant, dangereux ou –disons-le – relevant de la prédation, on en redemande...
    Le vieillissement et le désir féminins, le contrôle de sa sexualité à l’ère de #MeToo, la question de la moralisation de l’art, sans compter un petit clin d’œil au Misery de Stephen King : tout y est dans ce premier roman sexy et brûlant, l’une des lectures les plus épicées de l’année.
    Un roman universitaire endiablé, et une narratrice insolemment caustique qui dispense des vérités dérangeantes.
    Délicieux de partager ce moment avec une narratrice qui désire avec tant de ferveur, au point de jeter sa vie aux flammes.
    Surprenant et drôle !
    Un régal prodigieusement subtil.
    Ce roman acide et volontiers provocant dans lequel la narratrice atteinte du démon de midi ne perd jamais le recul qu’elle a sur elle-même (et sur les autres !) est d’une infinie drôlerie.
    Drôle et alerte, Le délicieux professeur V. tient du «campus novel »mais esquisse aussi l’état des lieux des opinions et des postures actuelles que l’autrice, née en 1981, bouscule gentiment.
  • C’est un roman sur l’âge qui arrive, sur le désir fantasmé ou non, sur l’ambition également et j’ai trouvé l’écriture intelligente et pertinente, ne craignant pas d’exprimer les contradictions d’une femme dont la vie vacille.
    Avec une écriture très vive, parfois crue, l’autrice nous raconte les émois et les tourments de celle qui est devenue presque une paria à cause des frasques de son mari dans l’université où ils sont professeurs tous les deux. Est-elle victime, complice ? Toutes ces questions se posent de plus en plus avec l’arrivée du séduisant Vladimir, jeune professeur lui aussi et auteur en devenir. Tout est-il jeu de dupes ou jeu de séduction? A lire avec jubilation...
  • Prologue

    Gamine, j’aimais les hommes âgés, et je savais qu’ils m’appréciaient aussi. Ils aimaient mon impatience à les contenter, ma résolution à leur donner bonne impression. Ils m’adressaient des clins d’œil, ils me trouvaient précoce. Je les rencontrais à l’église, aux réunions de famille. Ils étaient les amis d’amis de mes parents, les maris de mes professeures de danse, de sciences ou d’histoire.

    Leurs compliments me comblaient de plaisir. Lorsque je me revois enfant, je porte une robe blanche avec une pointe de bleu. Girls in White Dresses : une chanson écrite par un vieil homme. Je ne m’habillais pas ainsi, mais c’est ce que je porte dans mes souvenirs, surtout ceux où je suis en présence d’un homme âgé. Je me rappelle que je me prenais pour une fille standard, me trouvais rayonnante de bonté. Ma bonté et mon intelligence irradiaient mon regard, les hommes me le confirmaient, y compris les plus vieux et les plus revêches.

    J’aime toujours autant un tas de choses que les hommes âgés ont coutume d’affectionner. Le jazz, la musique folk, le blues, les solos de guitare virtuoses. Les grands récits documentés. Les écrivains existentialistes et auteurs virils. La dépravation, les criminels cinglés et violents. Les émotions fortes. La méchanceté. J’aime les légendes de la vie urbaine ou de la vie rurale, et les anecdotes sur l’histoire politique. J’aime les blagues futées, évoquer leurs ressorts et les tournures de phrases et les parties de cartes et les récits de guerre.
    Ce que j’aime cependant aujourd’hui le plus chez les hommes âgés, c’est qu’ils sont habités par le désir, et c’est sans doute la raison pour laquelle j’ai souvent le sentiment d’être un vieil homme plutôt que cette femme blanche vieillissante à l’orée de la soixantaine (le rôle que je dois, à mon grand désarroi, tenir en public). Tout en eux est convoitise. Ils ont faim de nourriture, de bateaux, de vacances, de loisirs. Ils veulent être stimulés. Ils veulent roupiller. Ils sont guidés par le désir : leur monde est façonné par leurs désirs. Les vieux auxquels je songe (à savoir un certain type d’hommes âgés probablement rencontrés enfant et figés dans mon esprit depuis lors) ne connaissent ni n’envisagent un monde qui ne soit pleinement et totalement régi par le vouloir et l’avoir. Et, bien entendu, ils désirent l’adoration d’une partenaire sexuelle, quand bien même celle-ci n’existe que dans leur imagination nappée du halo bleu de leur télévision.
    ***
    J’ai écrit les mots qui précèdent tout en contemplant Vladimir, les traits ciselés de son visage bronzé, incliné contre le dossier de la chaise en bois. Son front hardi – protubérant, pourrait-on dire – accroche la lumière qui enlumine la peau tendue sur les renflements virils de son crâne. Le type même du quadra dont le visage se creusera avant de s’affaisser. Ses cheveux gris-blond retombent telle de la paille, toujours abondants, mais déjà menacés de diaphanéité et de chute éventuelle dans les années à venir. Il dort sur la chaise, et les poils de son bras gauche (celui que je n’ai pas enchaîné) luisent dans la lumière de fin d’après-midi. La vue de ce bras poilu, embrasé par le soleil, propage un sanglot le long de ma colonne
    vertébrale. J’aventure mes doigts dans cette douceur drue avec la délicatesse d’un petit insecte courtois.
    La grande chaise de style médiéval est faite d’un pin brun foncé patiné par le temps. Elle vient d’une brocante, et avant cela d’un bar à bière qui a fait faillite sur la Route 9. Le bois porte les incrustations grossières d’initiales et de noms, certains entourés de cœurs, d’autres avec des dates. Pour trouver l’inspiration, je me concentre sur une paire d’initiales : J. S. + R. B. 1987. Je leur invente des noms : disons… Jehan Soon et Robert Black… un couple gay qui déménage au nord de l’État de New York, fuyant la douleur et l’horreur de l’épidémie du sida… tous deux architectes… Jehan, enfant d’immigrés coréens, né et élevé à Flushing dans le Queens, et Robert Black, le descendant d’une famille du Mayflower, un mouton noir au sang bleu (jeu de mots plus ou moins délibéré). Ils achètent une maison victorienne biscornue qu’ils décorent avec une application obsessive, chinant antiquités et curiosités comme il était possible de le faire avant l’ère d’Internet, avant que tout un chacun n’apprenne la juste valeur des choses, des fauteuils Eames aux figurines kitch des années 1960. Un soir, ils s’aventurent dans leur nouvelle ville et tombent sur un bar à bière. C’est une soirée chaude de printemps. Romantiques, ils s’installent à l’extérieur sous les arbres lourds et ruisselants de pétales. Un peu pompette, Jehan devient affectueux, Robert le repousse, intimidé par la ville provinciale et les grappes épaisses d’hommes épais qui, à défaut d’en être membres, ont adopté les codes esthétiques des Hells Angels. Ils se disputent méchamment et rentrent chez eux furieux… Jehan humilié et Robert désemparé. Plus tard, après qu’ils se sont réconciliés, Robert retourne au bar, seul, et grave leurs initiales sur la chaise. Au premier anniversaire de leur arrivée dans cette ville, il invite Jehan à s’asseoir sur cette chaise et lui montre les initiales.

    Puis ils s’enflamment spontanément.

    Par exemple.
    Vladimir ronfle légèrement, un ronronnement calme et rassurant. Un son plutôt agréable, régulier. Si nous vivions ensemble et que j’étais sa petite femme, je me pelotonnerais tout contre lui et me laisserais bercer jusqu’au sommeil comme au bruit du ressac de l’océan.
    Je pourrais mettre de l’ordre au chalet : les citrons verts de nos boissons sont écrasés sur le comptoir ; dans l’entrée, nos chaussures pointent dans toutes les directions. Je pourrais continuer à écrire, travailler à mon livre ; au lieu de quoi je reste assise et je regarde la lumière bouger sur lui. J’ai conscience que ce moment est un parfait exemple de liminalité. Je vis dans la réalité qui précède le réveil de Vladimir. J’aimerais que soient ici ceux de mes étudiants qui nourrissent une passion post-adolescente pour les termes littéraires. Je suis sûre que s’ils étaient là, ils parviendraient à l’éprouver. Ce maintenant hors de l’espace et hors du temps. La présence vibrante de ce moment entre les moments.

  • Les Dalvettes présentent Le délicieux professeur V.

    A l’occasion des journées de présentations organisées par le CDE, Juliette Ponce et Marie-Anne Lacoma parlent des premiers romans à paraître à la rentrée littéraire 2023.